Dans le cadre du thème du mois, il m’est paru opportun de laisser Sébastien Vannier s’exprimer sur les sujets contemporains agitant le landerneau germanique.
Notre invité du jour sur AGS est journaliste à Berlin, principalement en tant que correspondant du quotidien à grand tirage Ouest-France. Entre autres contributions, il anime également le blog Electorallemand sur l’actualité sociale et politique allemande sur L’Express.fr et travaille régulièrement pour le magazine Paris-Berlin. Originaire d’Alençon en Normandie, il est arrivé à Berlin en 2007 à la fin de ses études de Sciences Politiques à Rennes, Eichstätt (Bavière) et Strasbourg.
Qu’il soit remercié pour avoir consacré du temps à répondre à cet entretien.
Sébastien Vannier (crédit photo : Fahrig)
Sébastien Vannier, vous qui suivez l’actualité Allemande, que pouvez-vous nous dire sur l’engagement Allemand en Afghanistan dans la sphère politique, et notamment sur ce fameux épisode ayant impliqué la démission de l’ancien Président Horst Köhler?
A part le parti de gauche Die Linke – qui a réussi à marquer un certain nombre de points sur ce sujet – et une partie des Verts, le reste de la scène politique allemande (CDU/CSU, FDP, SPD) soutient globalement l’engagement actuel des troupes allemandes en Afghanistan, même si les différents partis ont des opinions différentes sur les dates de retrait ou les missions des troupes sur place. La mission des troupes a d’ailleurs été prolongée par le Bundestag (à majorité CDU/FDP) en décembre 2009. Il n’en reste pas moins que, au vu des mouvements pacifiques en Allemagne depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, ce n’est pas en mettant en avant leur engagement dans un conflit armé que les partis vont bâtir leur popularité. Le thème de l’Afghanistan est donc toujours délicat à traiter.
En déclarant dans une interview après une visite à Mazâr-e-Charîf que l’armée allemande avait également à défendre les intérêts commerciaux internationaux de l’Allemagne, Horst Köhler a lancé un énorme pavé dans la mare. Malheureusement le débat qui s’en est suivi ne s’est pas concentré sur le contenu des déclarations – est-ce vraiment le rôle de l’armée ? – mais plutôt sur le fait qu’un Président de la République n’avait pas à faire de telles déclarations. Est-ce vraiment seulement cette polémique autour de ces déclarations qui a poussé le président à la démission ? J’en doute. Ce n’était pas la première sortie contestée du Président de la République et, comme beaucoup d’autres, je pense qu’il y a d’autres raisons qui ont influencé la décision de Horst Köhler.
Quelle est l’attitude de la population quant à ce conflit? Accepte-t-elle désormais plus facilement l’envoi de ses militaires pour des opérations extérieures?
Lors des récents sondages sur cette question, la réponse est claire : la population est massivement (70 % selon les derniers chiffres) contre l’intervention des troupes allemandes dans ce conflit et souhaite un retrait le plus vite possible. Le parti de gauche Die Linke a récupéré une partie non négligeable de ses suffrages en mettant en avant ce point. Alors que les Verts étaient au gouvernement lorsque l’engagement des troupes a été voté en 2001 et qu’ils ont également voté en grande majorité la prolongation décembre dernier, ils gardent également l’image d’un parti pacifiste.
Plusieurs éléments sont venus entretenir cette opinion auprès de la population à qui on avait parlé en 2001, peu après les attentats du World Trade Center, de mission d’aide à la population afghane : les nombreuses pertes dans les rangs allemands, la mort de centaines de civils afghans avec le scandale du Kundus en 2009, les déclarations du président de la République ou encore le fait que le ministre de la défense parle désormais de « guerre ». La désapprobation n’a donc fait qu’augmenter ces derniers mois
Pouvez-vous nous expliquer en quoi consiste la réforme de la Bundeswehr qui a été annoncée, ses conséquences potentielles comme sa perception par le grand public?
La réforme de la Bundeswehr avait déjà vécu un premier épisode avec la réduction du service militaire à seulement six mois, une mesure déjà discutée à l’époque. Le deuxième épisode s’inscrit dans le paquet de mesures de restriction des dépenses que le gouvernement allemand – comme beaucoup d’autres d’ailleurs – a préparé en début d’année. Très vite, le ministre de la défense Karl-Theodor zu Guttenberg, s’est porté volontaire pour réduire les dépenses de l’armée. Wolfgang Schäuble, ministre des finances, attend donc de lui une économie de 8,3 milliards d’ici à 2014. Pour ce faire, le ministre a présenté lors de cette rentrée cinq scénarios différents en ne cachant pas sa préférence pour la fameuse option 4. Celle-ci prévoit la baisse des effectifs de plus d’un tiers, de 252 000 à 163 000 soldats. Parmi ceux-ci ne se trouveraient plus que 7500 volontaires. Ce plan signe donc la fin (la suspension pour être exact) du service militaire obligatoire.
Cette mesure, assez inattendue de la part du gouvernement d’Angela Merkel, n’a soulevé de véritable résistance que dans l’aile conservatrice de la CDU/CSU. Politiquement, elle permet de renforcer l’image de Karl-Theodor zu Guttenberg, actuelle coqueluche du gouvernement, qui place ses pions avec une mesure a priori populaire, en vue d’une prochaine candidature à la chancellerie.
Selon vous peut-on encore dire que l’Allemagne est un géant économique mais un nain politique en 2010? Avec la crise Grecque ayant ébranlé l’Euro, l’Allemagne a paru en sortir comme le seul chef surnageant au milieu de tous les autres partenaires, épiphénomène ou résultat d’une nouvelle donne géopolitique se dessinant au sein de l’Europe?
Je crois personnellement que cela fait déjà un certain temps que l’Allemagne n’est plus un nain politique. Cela remonte à mon avis au début des années 1990 et la combinaison de l’unité allemande et du traité de Maastricht. Si l’on se base sur son absence au Conseil sécurité de l’ONU pour qualifier l’Allemagne de « nain politique », je crois que l’Allemagne a compris qu’elle peut compter sur d’autres cercles pour peser de tout son poids. L’Allemagne joue un rôle prépondérant dans les G8, les G20 et a fortiori au sein de l’Union Européenne. Que l’on soit d’accord avec la position de l’Allemagne ou pas, quand Angela Merkel a rechigné à aider la Grèce et l’Euro, l’ensemble des autres pays européens ont bien réalisé qu’ils avaient absolument besoin du soutien de l’Allemagne.
En ce qui concerne la situation de l’Allemagne pendant la crise, il est important, je pense, de comprendre la structure économique de l’Allemagne pour cela. Juste avant la crise, l’Allemagne et sa grande coalition était sur la voie d’un assainissement des finances et s’approchaient de leurs objectifs au niveau du déficit et de la dette. Cela – il est important de le souligner - s’était fait au prix de très lourds sacrifices sociaux. La base économique était donc a priori plutôt saine avant que la crise ne vienne tout chambouler. « Championne du monde des exportations », l’Allemagne a été touchée de plein fouet par cette crise mondiale et a fini l’année 2009 à -5 % de croissance. Inversement, elle a évidemment profité plus rapidement de la reprise. Grâce aux exportations d’un côté mais aussi parce qu’il existe en Allemagne et à l’extérieur, une confiance dans l’économie allemande qui a subsisté malgré la crise. Actuellement, l’Allemagne fait donc figure de locomotive économique de l’Europe mais je crois que la classe politique - on l’a vu avec l’application malgré tout des mesures de restriction alors que l’économie repartait - comme la population préfèrent rester très prudente.
On l’accuse parfois de vouloir régenter la Mitteleuropa, fantasme ou réalité?
Fantasme. Inévitablement, l’entrée dans l’Union Européenne de plusieurs pays d’Europe de l’Est en 2004 a changé la donne pour l’Allemagne. Les relations économiques et commerciales ou encore pour les étudiants en sont devenues plus faciles. En ce sens, l’Allemagne y a beaucoup gagné. Mais politiquement, les relations entre l’Allemagne et la Pologne par exemple ont été extrêmement tendues à l’époque des frères Kaczynski. Je n’ai pas non plus eu connaissance que l’Allemagne tente d’élargir sa sphère d’influence vers la République Tchèque ou la Hongrie. Donc, il s’agit peut-être d’un fantasme en France issu d’une crainte de ne plus être au cœur de l’Europe avec l’ouverture de l’UE à l’Est, mais pas une réalité de la politique allemande.
Yannick Harrel, Cyberstratégie Est-Ouest
Cet article est repris du site https://www.alliancegeostrategique.o...